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Qui est mon prochain ?

15e dimanche du temps ordinaire C (Luc 10,25-37). La notion de "prochain" n'est pas toujours très claire dans nos esprits. Le P. Marcel Domergue, sj nous aide à y voir plus clair.

En principe, « prochain » se rapporte à l'espace : est prochain qui se trouve à proximité. Affinons : est prochain celui qui ne se trouve pas à distance et aussi celui que nous ne tenons pas à distance. On le voit, il ne s'agit pas seulement d'espace mais d'attitude mentale. Même la parenté ne suffit pas : dans une famille, certains peuvent être très proches, d'autres très éloignés, affectivement ou géographiquement. Quand le docteur de la Loi demande à Jésus « Qui donc est mon prochain ? », il parle comme si le prochain était donné d'avance, comme s'il était possible de l'identifier à partir de certains principes, par exemple l'origine, la nationalité, la religion, la race, le niveau culturel. La parabole du Samaritain nous oblige à renverser la perspective. « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho… » Un homme, n'importe qui. Est-il Judéen ? Le texte ne le dit pas, mais si nous le supposons en vertu de la géographie (il descend de Jérusalem à Jéricho), le prêtre et le lévite qui passent leur chemin sont ses compatriotes, ses « prochains ». Remarquons que ces deux personnages sont des spécialistes de la Loi et que la question posée au début du récit concerne précisément la Loi. Une Loi qui reste ouverte sur plus qu'elle-même puisqu'elle ne dit pas qui est ce prochain qu'il faut aimer comme soi-même.

Celui qui s'approche

Le prochain n'est donc pas donné d'avance. Qui a été le prochain du blessé ? Celui qui s'est approché de lui. Auparavant, aucun des deux n'était le prochain de l'autre. Dorénavant, le blessé pourra aimer le Samaritain comme lui-même, puisque ce dernier s'est rendu proche de lui. On le voit, le prochain est une tâche à accomplir, le fruit d'un déplacement. Les deux partenaires en sont transformés. L'enjeu de cette parabole est considérable. En effet, en mettant en scène un docteur de la Loi, en cherchant à déterminer la condition à remplir pour obtenir la vie éternelle, en mettant en avant les deux commandements qui n'en font qu'un et récapitulent le Décalogue sans en faire partie (le premier est tiré de Deutéronome 6,5, le second de Lévitique 19,18), le récit nous situe en plein judaïsme, dans la religion du royaume du Sud (tribu de Judas). Un univers pour une grande part étranger à la Samarie, royaume du Nord. En choisissant un Samaritain comme exemple de ceux qui accomplissent ce qui doit être fait pour « avoir part à la vie éternelle » (v. 25), Jésus nous fait comprendre que l'accès à Dieu n'est pas une question d'étiquette religieuse, ni même d'appartenance

à un groupe déterminé, même s'il est porteur d'une vérité incontestable. L'amour, qui est présence de Dieu, peut naître n'importe où, chez n'importe qui. À condition qu'il ne lui soit pas opposé d'obstacle. Admirons l'audace de Jésus, qui ose prescrire à un docteur de la Loi d'imiter un Samaritain.

Au-delà de la parabole

Nous pouvons évidemment nous attarder sur la sollicitude du Samaritain, sur la prise en charge du blessé, sur la recommandation rémunérée qu'il fait à l'aubergiste etc. Un détail peut nous alerter : le Samaritain reviendra. Or qui nous a pris en charge et reviendra pour parachever son œuvre, sinon le Christ lui-même ? Certes, ce genre de réflexion dépasse la leçon directe de la parabole. Tant pis, laissons-nous aller ! Cet homme blessé par des brigands et gisant dans le fossé, c'est nous. Abîmés, sans force, incapables de nous relever. Voici le Christ qui, d'une certaine façon, est pour nous l'étranger par excellence. Il vient prendre sur lui notre détresse, la faire sienne et nous guérir. Il ira plus loin que le Samaritain puisqu'il prendra notre mal en son propre corps. Renversons les rôles : voici Jésus dépouillé, prisonnier, affamé, meurtri, qui gît dans le fossé. Discrètement, hors de ce chemin que l'on peut parcourir sans se rendre attentif à sa présence, sans le voir. Allons-nous nous faire son prochain ? On se souvient de Matthieu 25,34-45 : « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'ai été sans gîte et vous m'avez recueilli… ». Comme la loi de charité (1re lecture) qui est toute proche et qu'il est inutile d'aller chercher au loin puisqu'elle réside dans notre coeur, le Christ n'est pas loin de nous : il est là, sous nos yeux, dans les fosses que nous creusons et sur les croix que nous dressons.

À notre source, la loi d'amour, par M. Domergue

15e dimanche du temps ordinaire C (Luc 10, 25-37). S'approcher, pour se rendre proche. Voilà la Démarche du bon Samaritain. Jésus nous y encourage « Va et fais de même ».

Voici que Jésus, qui a si souvent dépassé la Loi au nom de l'amour, par exemple à propos du Sabbat, y renvoie pourtant celui qui vient l'interroger sur la vie éternelle. C'est que cet homme est justement un spécialiste de la Loi : il a déjà tout ce qu'il faut pour répondre à sa question. D'ailleurs, interrogé à son tour, il récapitule la Loi dans son essentiel, dans ce qui la fonde. Ce qui fonde la Loi, c'est justement l'amour et cet amour est ce qui nous met au monde, nous fait exister. La Loi ne nous vient donc pas du dehors, elle nous est intérieure ; elle est « dans notre bouche et dans notre cœur », comme nous le dit la première lecture. De ce point de vue, la Loi, qui n'est autre que la logique de notre humanisation, est comparable aux lois de la nature. Comme elle « prescrit » l'amour, elle confirme que c'est par les autres que nous existons. Car nous sommes, physiquement et mentalement, faits de relations. Aucun mérite à aimer notre prochain comme nous-mêmes, puisque l'autre est constitutif de notre existence. L'aimer revient à nous aimer nous-mêmes. De proche en proche, c'est le cas de le dire, tout être humain est mon prochain. Le juriste de notre évangile n'en est pas là. Pour lui il, y a des gens qui peuvent être dits « prochains » et d'autres non. Par exemple un Samaritain, membre d'une de ces dix tribus qui se sont séparées de Juda après la mort de Salomon, ne saurait faire partie des « prochains ». Pour lui, deux catégories : ceux que nous devons aimer et ceux qui ne le méritent pas. Que va répondre Jésus ?

Se rendre proche

A première vue, il est évident que cet étranger, membre d'une nation hostile aux Judéens, ne fait pas partie des prochains. Dans l'évangile du 13e dimanche ordinaire, nous voyons des Samaritains refuser l'hospitalité à Jésus parce qu'il se rend à Jérusalem… Pourtant, c'est l'un d'eux qui se porte au secours d'un homme visiblement de la tribu de Juda. Le Samaritain n'est pas ici chez lui : la parabole précise qu'il est « en voyage ». Cet homme va surmonter tout ce qui le sépare de la victime des malfaiteurs pour s'approcher, se faire prochain, de ce blessé laissé pour mort. Il est remarquable que Jésus retourne la question du légiste. Celui-ci, en demandant « Qui est mon prochain ? », avait parlé comme si le prochain était désigné d'avance et qu'il suffisait de l'identifier. Au contraire, Jésus fait dépendre la qualité de prochain d'un comportement, d'un déplacement. Le Samaritain se fait le prochain de celui qu'il prend en charge. Mon prochain n'est pas d'abord celui vers qui je vais, mais moi quand je m'approche de quelqu'un. Du coup, il est vrai, celui dont je me suis approché devient mon prochain. N'importe qui est donc notre prochain en puissance. Nous sommes certes dépendants de tous les autres, mais il faut que cette dépendance « naturelle » soit assumée en notre liberté quand se produit une rencontre.

"Va, et toi aussi fais de même"

A vrai dire, nous risquons de rester dans l'optique du légiste et de nous contenter, à l'audition de la parabole, de conclure que le prêtre et le lévite ont raté l'occasion de se rendre prochains du blessé alors que l'étranger, lui, a su, au-delà de la Loi, rencontrer l'Autre. Il faut qu'à notre tour nous entendions le Christ nous dire : « Va, et toi aussi, fais de même ». Croire, c'est bien, comprendre ce que l'on croit, c'est très bien, mais cela ne sert à rien si nous n'allons pas jusqu'au « faire ». Nous pouvons donc nous projeter dans le personnage de cet étranger qui franchit la distance qui le sépare d'un blessé avec lequel il n'a en principe rien à voir. Mais nous pouvons aussi nous projeter dans ce blessé, cet homme qui a besoin des autres pour continuer à vivre. Cessons de vouloir tout trouver en nous-mêmes. Le « salut » nous vient d'ailleurs, même si cela échappe à notre conscience claire. La fermeture sur soi est prélude à la mort. Allons jusqu'au bout : dans cet homme blessé à la merci de notre aide, nous pouvons voir le Christ lui-même. N'est-il pas présent en tous ceux qui revivent sa Passion, d'une manière ou d'une autre ? Ne détournons pas la tête, comme le prêtre et le lévite qui ont pourtant la charge de la foi de leur peuple, mais acceptons de regarder celui que nous avons transpercé. Et rejoignons-le.

Le déplacement, par M. Domergue

15e dimanche du temps ordinaire C (Luc 10,25-37). S'il est bon de regarder les gestes de bonté et de tendresse prodigués par cet homme de Samarie, cela ne répond pas à la question... Qui est-il ? Avec le P. Domergue sj, allons à sa rencontre.

Le déplacement

Avec le "Bon Samaritain", une porte s'ouvre toute grande: le prochain peut être n'importe qui sans distinction de proximité géographique, de parenté, de race, de religion etc. Qui est mon prochain? demande le légiste. La réponse est donnée à la fin : ton prochain est celui qui se déplace pour t'aider. Le Samaritain sans nom, qui n'est défini que par sa qualité d'étranger, a "tout près de lui, dans sa bouche et dans son cœur" (première lecture), la Parole dont il ignore sans doute la forme biblique et qui se résume dans le "commandement" de l'amour, cette bienveillance qui veut que l'autre vive, tel qu'il est, et qu'il soit heureux. Le blessé est un inconnu: son seul titre à être aidé, c'est simplement qu'il a besoin d'aide. Alors le Samaritain se rend proche; et le Christ invite le Docteur de la Loi à "faire de même": enseigner la Loi, c'est bien; la vivre, c'est mieux. Et ce n'est pas un luxe : "Fais ainsi, dit le verset 28, et tu auras la vie". Faire vivre l'autre est ce qui nous rend vivants. Tout homme, quel qu'il soit, même s'il est très loin de nous par sa culture et ses valeurs morales, devient notre prochain quand nous nous approchons de lui. Le prochain, en effet, n'est pas une notion statique, un "déjà-là", il est le fruit d'un déplacement de notre part, sans souci de réciprocité, puisque cet amour se caractérise par sa gratuité. Le Samaritain de la Parabole demande la vie de l'homme blessé, pas sa reconnaissance.

Qui est le "Bon Samaritain"?

On le sait, le Christ occupe les deux postes-clés de notre texte. D'abord, ne se fait-il pas le prochain de ce Docteur de la Loi pourtant si loin de lui? Cet homme l'interroge non pour créer des liens d'amitié, mais pour le piéger. Jésus, pourtant, se prête au dialogue et le gratifie d'une explication et d'une longue parabole. Il l'interroge, le fait parler, non pour le piéger, mais pour l'instruire, le "soigner". Par là, Jésus est déjà dans la situation du "Bon Samaritain", mais il y a beaucoup plus: n'est-il pas, pour nous tous, l'étranger par excellence, celui qui vient d'ailleurs, de Dieu même? Juste, venu chez des injustes pour assumer leur injustice, il est bien celui qui opère le grand déplacement pour se faire notre prochain. Il est cette Parole qui vient habiter "la bouche et le cœur" de l'humanité (première lecture). Au fil des signes qu'il donne, il se révèle - et révèle Dieu - comme notre thérapeute, versant sur nos plaies l'huile et le vin. L'auberge où il conduit le blessé fait penser à celle d'Emmaüs, l'annonce de son retour parle de sa venue en gloire, quand il réglera toutes nos dettes. Nous voici invités, comme le Docteur de la Loi, à "faire de même""Ayez entre vous (et en vous) les attitudes qui furent celles mêmes du Christ Jésus... " (Philippiens 2,5). L'Esprit qui nous est donné peut faire de nous le prochain de tout homme blessé.

Jésus, l'homme blessé

Matthieu 25,35-36: "J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger (.. .), sans gîte et vous m'avez accueilli (...)". On a envie d'ajouter: blessé, dans le fossé et vous m'avez pris en charge. Et encore: crucifié, transpercé et vous avez tourné les yeux vers moi. Le Christ s'est identifié à toutes nos victimes, à toutes les victimes de la malchance, de la maladie, des cataclysmes. Nous faisant "prochains" de ces hommes, nous nous faisons prochains de lui. L'amour qui l'a porté vers nous peut maintenant nous porter vers lui, cet amour qui a nom Esprit. Vers lui, mais uniquement en passant par les autres. Ainsi, en fin de compte, l'amour pour Dieu "de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces" se confond avec l'amour pour le Christ et avec l'amour de tous ceux que nous rencontrons en vérité et qui ont besoin de nous. L'un passe par l'autre. Il y manque encore une chose: "Tu aimeras ton prochain comme toi-même", dit Lévitique 19,18. Cela signifie qu'on ne peut pas aimer les autres sans s'aimer soi-même. Surtout ne nous méprisons pas, ni notre corps, ni notre esprit. Imitons Dieu qui nous veut, nous aime comme nous sommes. Aimer Dieu, aimer le Christ, aimer les autres, nous aimer nous-mêmes, tous ces termes sont interchangeables, du moins quand il s'agit d'amour vrai. Nous ne nous aimons jamais autant que lorsque nous faisons des autres notre prochain.

  • Père Marcel Domergue, sj (1922-2015), 

 

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